Lettre du 16 septembre 1861


Ma très chère Elisabeth,

Vous avais-je conté que mon mari projetait de m’emmener aux festivités d’embouteillage du domaine de Monseigneur Van Der Motte ?

L’an passé, ce noble Sir avait planté des ceps venant de loin, soi-disant plus résistants au phylloxéra.
Je vous l’avoue : je le soupçonne de ne pas accorder pleine confiance à ses nouveaux arbustes et, afin de conjurer le sort, de convier une grande assistance bien bruyante, plus efficace pour faire fuir les mauvais esprits - ou les insectes, mais vous m’aviez comprise.

Outrée à l’idée de me mêler à ses pratiques barbares, j’ai cependant dû m’y résoudre sous l’insistance de mon mari. Il a refusé tout net de me laisser seule : « Par pur charité chrétienne ! Je crains pour votre âme que vous ne sachiez guère résister aux appels des plaisirs de la chair », qu’il a argumenté.

Pour cette terrible cérémonie, il se revêtit de son costume brodé. Il se para aussi de son sombrero et de son épée - celle qu’il ne sort que lorsque son ami Federico Veracruz lui rend visite.


Joséphine venait de terminer le remaillage de ses chaussettes. Pour compléter sa tenue, il mit ses bottes, revenues du cordonnier il y a deux jours à peine.

Il ne saura jamais qui du cordonnier ou de ma bonne servante n’a pas bien accompli sa tâche, mais mon bonhomme n’avait pas parcouru une lieue qu’il était tout boiteux.

Quel n’était pas son courroux alors que je le fis assoir sur un banc, près de l’église. Pour le dérider un peu, je lui parlais des moyens extraordinaires de voyager dans le futur, que j’avais découvert sous la plume de mon éminent ami Jules Verne (Vous en ai-je déjà parlé ? Si cela n’en était pas le cas, n’hésitez pas à le mentionner dans votre prochain courrier et je réparerai mon erreur.)

« Vous souhaitez me téléporter » me gueula mon homme. « Allez plutôt quérir un cheval, au lieu de déblatérer vos sottises devant chez le bon Dieu ! »

Vu l’humeur maussade de mon gaillard, je m’exécutai. Je partis à la recherche d’un écuyer, que je finis par trouver à l’ombre de l’écurie de l’auberge. Je devrais plutôt dire « que je finis par surprendre », vu le sursaut que produisit mon arrivée sur ce garçon. Il n’avait pas la conscience tranquille, car il ne vaquait pas à ses occupations de laquais : il jouait distraitement avec sa sucette.

Sans me précipiter, je lui expliquai la cause de ma venue. Il était fringant et agréable aux yeux. Il satisfit ma gourmandise en me tendant l’objet que je dégustai à légers coups de langue.

Il rinça ses doigts poisseux dans l’eau d’un seau, puis il harnacha une jument. Quand enfin le jeune homme prêta secours à mon mari, celui-ci le pria de nous ramener à notre demeure et le remercia d’un écu d’or pour ses bons et loyaux services.

Inutile de vous expliquer mon soulagement de ne pas participer à la fête païenne de ce sieur Van Der Motte ! Qui plus est, grâce à un simple picot dans un soulier… J’en ai profité pour terminer la lecture du manuscrit que Jules m’avait confié. Je vous le dis : un jour, son talent sera reconnu ! Mais pour l’instant, j’en jouis pleinement en solitaire.

J’attends impatiemment votre prochaine lettre et vous adresse, ma tendre amie, mes sentiments les plus sincères.

Marie-Antoinette

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