Prendre la parole, le discours (5)

Voici le lien pour écouter ma séance de coaching à l'Exprimerie , diffusée à la radio :
https://www.rts.ch/la-1ere/programmes/on-en-parle/11069504-lart-de-bien-dire-34-19-02-2020.html?mediaShare=1

Et l'exercice du discours :
https://pages.rts.ch/la-1ere/programmes/on-en-parle/11074516-lart-de-bien-dire-44-21-02-2020.html?fbclid=IwAR0Lv8CJnNZCJjOp_mzy7cGDEpYINV6l5mTE3iqR3eE7UiWfIRGkBrvILTw&mediaShare=1

Dont voici le texte complet...



Aborder le thème de l’écriture me semblait un sujet évident, puisque c’est mon passe-temps, puisque c’est ma passion.
Un auteur derrière chaque discours
De plus, parler d’écriture dans une formation sur l’art ORATOIRE prend tout son sens, quand on sait que les grands de ce monde paient des spécialistes pour RÉDIGER leurs discours.

Les tribuns ont leurs fiches,
les animateurs des prompteurs,
les acteurs leur texte.
Tout cela écrit par des auteurs.


Écrire un texte à dire n’est pas le même exercice qu’écrire un texte à lire pour soi.
Assez rapidement, je remarque que ce discours s’écrira debout.
Mes idées prennent une forme plus orale, quand elles naissent en marchant.
Des phrases moins longues, moins alambiquées que celles que je peux rédiger confortablement installée à mon bureau.

Je constate que le découpage des paragraphes prend une autre dimension. Pour une meilleure lisibilité.

Les sonorités comptent.
La facilité à prononcer les phrases aussi.
Macron ne renverrait-il pas son rédacteur s’il lui écrivait des phrases du type :
Le fisc fixe exprès chaque taxe excessive exclusivement au luxe et à l’exquis ?

Dernier point qui diffère pour rédiger le texte d’une intervention orale : la relecture.
Je traque moins les fautes d’orthographe.
Bien sûr, il faut les éliminer, car si elles me sautent au visage, au moment de la prise de parole, bonjour le cafouillage !

Je relis à haute voix, avec le ton !
J’ajoute des points, des virgules, des majuscules pour me rappeler sur quel mot appuyer.

Pour le contenu, j’ai mené une petite recherche dans les textes que j’ai écrits.
Dans la catégorie « texte à dire », je vous soumets un extrait de mon discours du 1er août 2017.

fête nationale suisse


 Je ne vais pas vous faire l’affront de vous décrire notre village et ses qualités.
Monminibled, c’est comme la Suisse : ce n’est pas grand.

En faire le tour ne vous prendra que peu de temps.
 

Sa spécificité ? C’est le plus beau du monde.... ou pas.

Ce village, ce pays, c’est le nôtre.

Celui qui abrite nos espoirs, nos rêves, nos chagrins, nos doutes, nos tristesses.
Celui qui héberge nos familles, nos voisins et peut-être, avec un peu de chance, nos amis. 
Monminibled, comme la Suisse, c’est pour beaucoup notre starting block le matin et notre ligne d’arrivée le soir.
Notre bite d’amarrage.
Le socle à partir duquel vous pouvez créer votre œuvre, votre vie.



triple fracture de la cheville

Ce discours, je l’avais prononcé dans une position compliquée.
Municipale de ma commune, je m’étais fracturée la cheville quelques semaines auparavant.
Sous une tente, dans un pré, devant une centaine de personnes.
Avec à la main, mes béquilles, ma feuille, le micro. Et ma fille de deux ans qui n’avait pas résisté à l’envie d’être dans mes bras en ce moment de stress.
Inutile de dire que personne n’a rien compris. Mais qu’importe ! Qui écoute le discours du 1er août ?
Nous sommes tous là pour manger des cervelas et boire du blanc, non ?
Le discours n’est qu’un prétexte, un argument pour se réunir.





Dans la catégorie « texte à lire » seule, blottie sous une couverture, je vous propose un extrait de mon premier roman.
Texte que je sais particulièrement illisible à haute voix.
Pour mon blog, j’avais réalisé une animation dans laquelle je jouais la voix-off. L’enregistrement m’avait demandé de nombreuses prises.


Les portes s’ouvrirent dans un essoufflement tonitruant et Mélanie monta rapidement les trois marches qui la séparaient du chauffeur.
Celui-ci, la quarantaine passée, une calvitie bien marquée et une épaisse moustache, la dévisagea d’un air sournois.
Il l’observa sans la moindre retenue pendant qu’elle sortait de son sac le montant de la course en menue monnaie.
Une fois son titre de transport en poche, elle s’éloigna rapidement et prit place dans un siège au fond du car, dans l’espoir de disparaître du champ visuel de ce regard lourd de sous-entendus.



Heureusement que j’ai suivi les cours de Sandra avec assiduité !
Respirer. Voilà le secret. Quand on lit dans sa tête, on n’a pas besoin de respirer. Enfin si, mais cela n’a aucune incidence sur notre rythme de lecture.


Le discours
Dans ma tête, communiquer, c’est discuter, échanger des points de vue, du donnant-donnant.
Faire un discours, c’est moins un échange.
C’est emmener mon auditoire et lui montrer ce que je veux qu’il voie.
Il est important de captiver mon public, de garder son attention pour faire passer mon message jusqu’au bout.
Un peu comme écrire un livre.
Pourtant, faire un discours, ce n’est pas juste parler POUR l’autre.
Parler devant un public reste un échange.
Le bon orateur capte les réactions de son auditoire.
Il voit les visages,
entend les murmures,
remarques ceux qui s’endorment au fond
ou ceux qui jouent sur leur téléphone au troisième rang.
D’une anecdote, d’une accentuation, il peut les ramener dans le vif du sujet.
Dans un livre, moins.




je revendique le droit de sauter des pages

En tant que lectrice, je saute sans vergogne les paragraphes qui m’ennuient.

Très souvent, je vais lire les dernières pages, pour savoir comment ça finit.

Me spoiler moi-même ne me pose aucun problème et ne m’empêche pas de déguster un roman en entier.


Si la fin correspond à ce que j’avais imaginé dès la trentième page, je me délecte de découvrir les péripéties intermédiaires,
l’itinéraire proposé par l’auteur,
qui ne manquera pas d’être différent du chemin que j’aurais personnellement emprunté.

Si la fin est une surprise, une révélation
(c’est le facteur le meurtrier),
je traque à chaque page la construction de l’intrigue.
Comment l’écrivain m’oriente sur de fausses pistes, tout en posant les jalons d’une conclusion cohérente.

Pour ma part, je préfère la voie de l’écrit.
Sur l’écran, je peux corriger, couper, compléter, affiner, préciser, ciseler.
Je peux prendre du recul.
Revenir plus tard et finalement obtenir un papier qui correspond vraiment à ce que je souhaitais exprimer.
A l’oral, quand c’est dit, c’est dit.
Un mot mal choisi, un lapsus, un ton mal adapté, un regard de travers et le message est totalement biaisé.
Pas question de couper au montage, ni de rejouer la scène.




Mon tout premier écrit date de 1984 environ.
J’avais 5 ans.
Comme tous les enfants, j’avais ma perception du monde et j’avais décidé de raconter mon explication sur… l’eau du robinet.
L’histoire d’une famille de gouttes d’eau qui vivent dans une cuve,
derrière le robinet de la cuisine et qui, un jour,
commencent un grand voyage en passant par la théière de la propriétaire des lieux.
Ma maman avait retranscrit l’histoire de Pilette en bon français.
Puis j’ai grandi, vieilli, je suis devenue municipale en charge de l’eau potable
et j’ai découvert tous ses secrets et son parcours en milieu urbain.
Je devais absolument ressortir Pilette de mes cartons
et en faire un album pour enfant !
Bien sûr l’histoire s’est étoffée, est devenue plus réaliste, plus éducative…

Pilette et ses parents, réalisés par Stroberry.ch
Une graphiste s’est chargée des illustrations. 
Elle n’avait tracé que 5 ou 6 esquisses, lorsque ma fille aborda le sujet de l’eau à l’école.

Même si les dessins n’étaient pas finis, il aurait été dommage que ma cadette ne profite pas de mon premier ouvrage.

Ni une, ni deux, j’appelle la maîtresse. 
Nous convenons d’une date pour que je vienne présenter Pilette à sa classe. Quel moment d’émotion !
Une vingtaine de paires d’yeux fixés sur moi, avides d’entendre mon histoire.
5 pages A4 de texte encore jamais lues à haute voix devant un jeune public.
Le grand saut !
Extrait :




Elle remarqua que les gouttes d’eau changeaient de couleur les unes après les autres.
Ce bronzage express était contagieux.
Il se propageait très rapidement et en quelques instants, tout le monde était devenu d’une belle teinte brune.
Comme c’était sans douleur, elle se rendit compte que ce changement n’était que visuel et qu’il n’avait aucun impact sur sa structure.
Cela la rassura et elle put se concentrer sur la source de cette épidémie de couleur.
Il s’agissait d’un grand sachet, qui se baignait négligemment dans leur petite communauté aquatique.
Il finit par partir, emportant quelques gouttes avec lui.



Verdict ? Ils ont bien aimé, mais ils n’ont pas tout compris.
J’avais laissé mon amour des mots gâcher le message.

Après ces exercices d’écriture-lecture à haute voix, j’aimerais rendre hommage à mon auteur favori. Dans la catégorie « Mots qui chantent dans la bouche et qui dansent dans les oreilles », je désigne Alphonse Daudet comme mon modèle et mon maître : 

Je frappai : saint Pierre m'ouvrit !
- Tiens ! C'est vous, mon brave monsieur Martin, me fit-il ; quel bon vent... ? 
et qu'y a-t-il pour votre service ?

Le curé de Cucugnan, A. Daudet
- Beau saint Pierre, vous qui tenez le grand livre et la clef, pourriez-vous me dire, si je ne suis pas trop curieux, combien vous avez de Cucugnanais en paradis ?
- Je n'ai rien à vous refuser, monsieur Martin ; asseyez-vous, nous allons voir la chose ensemble.
Et saint Pierre prit son gros livre, l'ouvrit, mit ses besicles :

- Voyons un peu : Cucugnan, disons-nous. Cu... Cu... Cucugnan. Nous y sommes. Cucugnan...
Mon brave Monsieur Martin, la page est toute blanche.
Pas une âme...
Pas plus de Cucugnanais que d'arêtes dans une dinde.




En conclusion, j’aimerais souligner que suivre une formation pour mieux parler, mieux communiquer, permet de progresser aussi dans l’écriture.
Les mêmes règles s’appliquent aux deux disciplines.
Varier les rythmes, varier le ton.
Respirer et laisser respirer. Pour mieux plonger. Plus profondément...
Rire, pleurer, se laisser attendrir.
Donner, mais surtout recevoir. Écouter, percevoir.
Échanger, partager,
Parce que c’est probablement la seule chose qui compte.

Merci de votre attention.

 

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