Eric-Emmanuel Schmitt : L'homme qui voyait au travers des visages
Actuellement, je n’ai pas suffisamment de temps pour prendre
un livre et le lire en tournant ses pages. (D’ailleurs, j’ai découvert L’homme
qui voyait à travers les visages en juillet et je n’écris mon avis que maintenant)
J’ai donc tenté l’aventure du livre audio avec cet auteur que j’apprécie
énormément.
Un désavantage de cette méthode de lecture est, selon moi,
qu’il faille chercher sur le net l’orthographe des noms propres avant de
rédiger une chronique. 😊
Le narrateur et personnage principal, Augustin Triollet, est
un orphelin SDF qui fait un stage non-rémunéré au journal Demain, dans l’espoir
de devenir écrivain. Son chef, Pégard, le rabroue comme d’habitude et l’envoie
dans la rue. Là, il est victime et témoin d’un attentat. Naturellement, avec cet
événement, l’insipide garçon devient le centre d’intérêt
- du rédacteur pour booster son tirage,
- du commissaire Terletti pour l’enquête,
- de la juge d’instruction Poitrenot en charge du dossier,
- de Oum Kalsoum, …
La spécificité d’Augustin est qu’il voit les morts tournoyer
autour des vivants, leur soufflant des conseils, des ordres qui se logent dans
leur inconscient et les influencent.
Mohammed Badawi, le petit frère du terroriste qui s’est fait
sauter au début du livre, entre dans la vie d’Augustin…
Je trouve cette rencontre inopinée intéressante. Je suis
Schmitt avec intérêt et curiosité. Comment l’auteur va-t-il faire pour amener
ses personnages là où il le souhaite ?
J’ai aimé, en grande partie…
- · Un texte en « je » et au présent,
- · Le perpétuel regard de l’auteur sur l’humain, ses failles mais surtout ses forces,
- · Des personnages attachants.
- · En plus, il y a mon nom complet dans ce bouquin : Myriam l’infirmière et plus loin « supplicie… », certes avec une faute d’orthographe, mais je suis magnanime : je ne lui en tiendrai pas rigueur. 😊
- · J’aime que l’auteur se mette en scène.
- · Je décroche totalement avec le personnage de Dieu.
- · J’ai aimé le débat virtuel entre la juge d’instruction qui juge Dieu coupable de toutes les guerres et Schmitt (lui-même) qui prône le libre-arbitre de l’homme.
(Excusez mes citations pas aussi précises que d’habitude, à
cause de la version audio)
Le juge Poitrenot :
« Nous accusons des victimes. L'assassin, c'est celui
qui décrète, pas celui qui exécute. Le cerveau, pas la main. Qui commande en l’occurrence
? Dieu. Les combattants le trompent ! Depuis des siècles, ils dénoncent Dieu
et, par je ne sais quelle bizarre infirmité, nous n'entendons pas leurs propos.
Croisades, guerres saintes, querelles entre Chrétiens et Cathares, lutte des Catholiques
et des Protestants, toutes ces batailles furent perpétrées au nom de Dieu. Les
colons américains exterminaient les Indiens en citant le livre de Josué, les
Hollandais alléguaient le Deutéronome pour justifier l'Apartheid en Afrique du
Sud, les Japonais envahissaient la Chine au nom du Shento, au sein de l'Islam Sunnites
et Shiites ferraillaient en obéissant à Allah, et aujourd'hui les terroristes
de Daech ou d'Al-Quaida s'immolent et massacrent en tonitruant « Allahou
Akbar ». La surdité nous affecte. Pire : lorsque nous percevons ces
assertions, nous les critiquons sévèrement. Trucider au nom de Dieu ? Les
croyants jugent qu'il s'agit de diffamation, les athées de délire. »
Schmitt (l’écrivain et personnage de son roman, qu’Augustin
rencontre sous prétexte de rédiger un article dans son journal) :
« Que les hommes croient ou non en Dieu, ils Lui
échappent puisqu'ils demeurent libres. A eux de faire fructifier leur liberté,
laquelle n'existera que s'ils s'en servent. Définitivement, que le Ciel soit
plein ou vide, les hommes ont la charge des hommes. Mieux : les hommes ont la
charge de Dieu. Ce sont eux qui peuvent Le travestir ou Le comprendre, eux qui
peuvent L'entendre ou rester sourds, eux qui peuvent Le lire bien ou Le lire
mal, exercer leur esprit critique, chérir l'intelligence des Livres sacrés,
leur plan, leurs intentions, ou n'en garder que les déchets. »
Je suis quelqu’un de sensible, très sensible. J’avais lu le
4e de couverture et je savais que cela commencerait par un attentat.
J’avais pourtant décidé de le lire pour le don d’Augustin. Un don que je ne
rattacherais pas au fantastique, car je le crois bien réel, concret et non pas
purement romanesque.
Cette lecture m’a interrogée.
J’imaginais que cette perception particulière du personnage
principal serait au centre du roman. Elle l’est, comme un outil, mais pas comme
un thème. Selon moi, le thème de cette histoire est la violence.
Pourquoi tant de violence ? Serait-ce un thème
récurrent dans l’œuvre de Schmitt ?
Je jette un œil à l’impressionnante bibliographie de l’auteur.
(Au passage, je remarque que j’ai toujours plus de livres « à lire »
que de « déjà lus »). Cela ne dément pas mon hypothèse, mais je garde
en tête que je n’ai encore rien lu de son « cycle musical ».
Dans ce roman, l’auteur met dans la bouche du Tout-puissant
les propos suivants, approximativement (la version audio rend plus difficile le
surlignage ou le feuilletage pour retrouver un passage) :
« La bible commence et se termine par une scène de paix,
(…) mais le bonheur de la fin supplantera le bonheur du début, car un bonheur
acquis s'avère plus solide qu'un bonheur donné. »
Il me semble que Schmitt fait tout le contraire dans ce
bouquin.
Pour conclure, j’ai vu que la fin du roman suscitait le
débat. Personnellement, j’ai bien aimé les révélations finales, un peu moins la
volonté de l’auteur de nous faire avaler des couleuvres sur l’origine de ce
texte.
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