Prisonniers
On était entassé, pressé contre les parois humides. La
myriade de nos corps n’en composait plus qu’un seul, immense, transpirant et
frissonnant en même temps. On s’était organisé pour tourner lentement, un peu
comme à la Mecque autour de la Kaaba, pour respirer deux bouffées d’air frais
par jour.
Notre prison comptait deux fenêtres, percées à chaque
extrémité de la pièce, à plus de deux mètres du sol. Nous ne voyions que le
ciel à travers elles. En se mettant sur la pointe des pieds et en tendant les
bras, les plus grands d’entre nous ne pouvaient qu’effleurer les épais barreaux
de fer forgé. Nous avions proposé de faire la courte échelle, mais la meute ne
comprenait pas l’intérêt qu’un seul bénéficie d’une pause plus longue, alors
que d’autres seraient privés de leur respiration quotidienne.
Et pourtant…
Si nous acquérions une meilleure connaissance
du lieu de notre détention, nous pourrions échafauder un plan et peut-être même
réussir une évasion. Mais non. Il y avait la masse des mécontents. Ceux qui ne
veulent faire aucune concession pour le bien de tous. Leurs deux respirations
quotidiennes représentaient toute leur ambition.
« A ce rythme-là, nos pieds creuseront nos tombes en
cercle. A ce rythme-là, ne vaut-il pas mieux laisser la meute se presser sous
la fenêtre et réunir les consciences au milieu de la pièce ? »
J’avais pensé à haute voix.
Mes voisins de pèlerinage me regardèrent, ébahis. Je les
fixais dans les yeux quelques secondes, puis je m’arrêtais.
J’avais mis fin à l’inertie.
Il fallut quelques pas supplémentaires à mes compagnons pour
se joindre à mon acte héroïque.
La masse grogna, bouscula puis s’immobilisa dans un
tohu-bohu assourdissant.
Je me baissais pour toucher le sol : de la terre battue
par nos pieds sales. J’en ramassais une poignée, puis me redressais, le bras
tendu pour que chacun puisse voir ma récolte.
« Que chacun dépose deux poignées de gravats à chaque
passage sous les fenêtres. Ainsi nous créerons un monticule pour que tout le monde
profite du panorama. »
La foule frémit et se remit lentement en marche.
...
Mon plan ne fonctionna pas comme prévu. J’avais imaginé nous
offrir un accès pour une sortie par le haut, mais le sol, raclé par des
milliers d’ongles assoiffés de liberté, céda en premier.
Un de mes plus jeunes camarades de cellule arrêta à son tour
la déambulation de la troupe. Il avait remarqué que, sous la fine couche de
terre qu’il restait, se trouvait une autre matière, bien plus dure et bien plus
claire que ce que nous connaissions jusqu’ici.
Un gars, qui avait précédemment
travaillé dans le bâtiment, donna le verdict :
- Du béton armé. On n’en viendra pas à bout avec les doigts.
Il faut de l’acidité.
Une chaîne humaine se forma et, en quelques minutes, des
litres d’urine et de matières fécales furent déversés dans la fissure terreuse.
Il fallut du temps. Et des quantités de pisse incalculables. Mais le béton finit
par céder.
De nos mains, on a agrandi le trou. De nos guenilles, on a
tressé une corde et dans la nuit la plus profonde, nous nous sommes tous
laissés glisser dans l’orifice de la liberté.
...
Notre cachot était bâti au-dessus d’un tunnel, protégeant à
une époque une voie de chemin de fer maintenant désaffectée. Il nous suffisait
de traverser ce boyau dans les collines et de redescendre leurs flans pour
rejoindre le reste de l’humanité dans la vallée.
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