Lettre du 14 octobre 1861
Ma très chère Elisabeth,
Avez-vous entendu parler du Tout-à-l’égout ? Ce serait
la dernière fantaisie pour les demeures de haut rang à Paris. Si j’ai bien
compris les explications de mon mari, il s’agirait d’évacuer les récoltes de
nos latrines par des tuyaux qui conduiraient nos déjections au ruisseau.
Plus de fosse d’aisances, c’est cela le progrès au XIXe
siècle ! Oui, Madame. Cela signifie itou qu’il n’y aura plus de
fertilisant pour les fermiers ; les céréales et les légumes pousseront
moins bien.
Que diront ces Messieurs ingénieurs de l’hygiène quand le pot-au-feu
ne sera plus que de la viande trempée, sans carotte, ni céleri ?!
Quand mon époux décida de réaliser ces travaux chez nous, je
ne pipai mot. Monsieur Cazin prit les mesures. Puis, un jour, un bougnat
conduisit une charrette devant notre maison.

Je poursuivis mon exode jusqu’au bosquet de bouleaux plantés
au bord de la rivière. J’admirais le cours d’eau, quand une nausée m’a étreinte :
bientôt ces vaguelettes scintillantes ne brilleront plus, ne bondiront plus, ne
gazouilleront plus, n’existeront même plus. Mon joli ruisseau se transformera
en lave nauséabonde.
Ma vue se brouilla, mon ouïe ne perçût que le son de mes pulsations.
Il me fallait mes sels de pâmoison. Mon flacon était resté sur le buffet dans
la salle à manger. Je devais m’y rendre au plus vite, pour ne pas être sujette
à un évanouissement.
Arrivée au domaine je ne sais comment, je découvris le tapis
de l’antichambre trempé. Je réussis à faire encore deux pas avant de défaillir.
A mon réveil, j’étais allongée dans mon lit. Mon mari m’a indiqué que j’avais
eu la noblesse de m’effacer hors de l’étendue palustre.
Je demeurai dans ma chambre jusqu’à la fin des travaux. Il
était tellement fier d’avoir épousé une femme de ma classe qu’il m’a proposé
d’accueillir le Quintette de Monsieur Delcourt. J’ai refusé, car ayant aguiché
l’un de ses violons, je ne pouvais concevoir d’inviter ces messieurs dans mes
appartements.
Pour que je ne fusse pas incommodée par les nuisances
sonores, mon noble mari a invité la fanfare militaire de la ville à répéter
dans notre jardin pour la durée des travaux. Depuis la Crimée et maintenant le
Mexique, les restrictions budgétaires ont obligé les orchestres à renoncer aux
répétitions dans les Conservatoires.
Quelle chance ! Tous ces hommes en uniforme à admirer
par ma fenêtre sans modération…
J’en étais presque à espérer que les compagnons ne
quittassent jamais la maison, mais leur départ me permit de reprendre la plume
et de vous adresser ces quelques mots.
Avec toute mon affection,
Votre amie pour toujours
Marie-Antoinette
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