Lettre du 30 septembre 1861
Je vous imagine parfaitement infuser dans le ruisseau sous
le regard goguenard de Joseph.
Pendant que vous batifoliez dans les fougères avec votre
mari, j’ai failli atteindre les cieux avec le mien. Je m’explique.
Cette après-midi-là, nous décidâmes de déambuler du côté de
la Tourette.
Le long de la promenade, nous découvrîmes un homme trapu qui
étendait un grand drap dans la pente herbeuse derrière chez les Bassin.
Quelques badauds s’attardaient là, espérant que quelqu’un acceptât l’offre de
ce gredin. Celui-ci nous promettait monts et merveilles.
Après avoir fermement noué des cordes de part et d’autre du
petit coin qu’il réservait à ces compagnons d’envolée, il bouta le feu à un
ballot de paille pour réchauffer l’air.
Oh ! Que mes mots sont maladroits. N’allez pas penser
que je m’égarerais dans un périlleux libertinage ! Que nenni !
(Surtout devant autant d’yeux remplis de convoitise)
Par les bavardages de la plèbe, je compris qu’il s’agissait
de l’enveloppe d’une montgolfière. J’en avais entrevu une gravure dans la
Presse du Canton. Je priai mon légitime de m’offrir, que dis-je, de nous offrir
ce dépaysement inespéré.
Ce brigandeau s’approcha de nous. Il réclamait vingt
centimes par personne pour monter dans son vaisseau. De mauvaises grâces, mon
mari lui tendit les sous, qui sonnèrent haut et fort en tombant dans son
escarcelle, comme pour nous prévenir de son tour pendable.
Les deux hommes m’accompagnèrent près de la nacelle.
L’imposteur me prêta son bras pour passer le tabouret et prendre place dans la
fragile esquif. Mon époux m’y rejoignit sans heurt.
Le vilain retira le marchepied et ordonna à la populace de
se reculer d’une quinzaine de pas, « par mesure de prudence »,
avait-il décrié.
Un vol captif était pour moi la garantie de notre sécurité.
Être attachée au sol me rassurait pleinement.
Seulement, ce larbin avait noué ses ficelles à son cheval.
Quand tout le monde crut que nous décollions, ce sacripant sauta sur sa monture
et décampa au triple galop à travers la campagne, traînant derrière lui son
ballon factice, qu’il réutiliserait pour gagner sa croûte dans la prochaine
ville qui croiserait son chemin.
Ici, personne n’eut le temps de ne rien faire.
Nous apprîmes dans la foulée que la nacelle n’était en fait
qu’une mangeoire à bétail, qu’il avait emprunté sans rien demander au paysan
voisin.
Je vous passe les vociférations auxquelles j’ai eu droit les
jours qui suivirent. Ce qu’un vol captif aurait pu nous rabibocher avec mon
mari, un voleur libre l’a brouillé pour bien plus que les quarante centimes que
cela nous a coûtés.
Notre amitié m’est particulièrement chère en ce moment, car
avec mes dernières frasques, je ne serai pas surprise qu’un jour il me chasse
comme une malpropre.
Votre dévouée Marie-Antoinette.
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