Lettre du 2 septembre 1861








Ma bien chère Elisabeth,


J’étais impatiente de reprendre la plume pour vous raconter la suite de mes aventures, mais mon tendre Hubert rôdaillait dans mes appartements depuis la fameuse journée.


Heureusement, aujourd’hui, ces affaires l’ont à nouveau emmené en ville et je vous révèle enfin le déroulement de mon entrevue avec qui vous savez.


Comme je vous l’ai expliqué dans ma précédente missive, j’avais décidé de porter ma plus ample crinoline, afin de lui offrir le plus d’espace possible pour ses friponneries. Je m’étais parée de mes perles et j’emportais aussi mon ombrelle, afin que l’ivoire de ma peau délicate ne se tanne pas au grand air.


Ainsi apprêtée, je ne voulais pas traîner sur le perron. Que penseraient les serviteurs ? J’ai donc accédé à la porte dérobée située à l’angle ouest du domaine. En traversant le petit cloître, j’ai pris grand soin de ne marcher que sur l’herbe, qui atténuait le bruit de mes bottines. Les gravillons, quant à eux, semblaient de mèche avec mon mari : à peine je les effleurais qu’ils s’égosillaient pour me dénoncer.


Mon courtisan ne tarda pas à me rejoindre près du portillon. Il portait un élégant haut-de-forme et un léger masque de satin noir lui cachait le front et les pommettes. Ses yeux de braises avaient chantourné deux orifices lui permettant de voir sans être reconnu pour autant.


Nous n’avons pas perdu de temps à nous conter fleurette. Il m’a offert son bras, afin de traverser sans encombre la route couverte de défécation équine. Echappant aux tumultes des diligences, nous nous faufilâmes dans une étroite ruelle qui nous permit de quitter le bourg en toute discrétion.


Mon gentilhomme m’escorta galamment jusqu’à l’orée des bois. Non loin de là chantonnait une source. Les oiseaux gazouillaient dans les branches alentours. Je ne parle pas, là, uniquement de ce qui se passait hors de ma robe.


La langue de mon mirliflore affichait plus d’entrain à humecter les pétales rosés de mon jardin secret que de se perdre en marivaudages improductifs.


Il s’occupa de mon bourgeon jusqu’à ma félicité. Mon mousquetaire sortit alors son fleuret pour servir sa majesté, sans la blesser. Il fit un tour de garde avant de s’enfoncer dans les bas quartiers.


Je vous passe toutes les polissonneries dont ce notable m’a gratifiées, chère Elisabeth, car je crains que le temps me presse et je tiens absolument à terminer mon récit dans cette lettre.


Après avoir chacun repris ce qui lui appartenait, nous rebroussâmes chemin. Il m’a chaperonnée jusqu’aux pavés devant la Collégiale. Sur la place, les flâneurs s’étaient rassemblés. Mon guide, ayant perdu son loup au bord de l’eau, m’astreignit d’un regard à me mêler à la foule, afin de préserver notre anonymat.


Je crus d’abord que cet attroupement était le fait d’un vil gredin qui s’épanchait publiquement sur ses états d’âmes à propos de l’abolition de l’esclavage, mais il n’en était rien. Il s’agissait seulement d’un montreur de singe.


Mon gentilhomme profita de l’agitation pour m’adresser un dernier sourire. Je lui lançai alors une œillade pleine de désirs fébriles avant qu’il ne s’esquive. Je restais là quelques instants afin de profiter du spectacle et dissiper toute suspicion d’une liaison entre la châtelaine et ce sire.


Au milieu des mines amusées, je distinguai soudainement un visage immobile. Les pupilles de mon époux étaient rivées sur moi. Depuis combien de temps ? Avait-il deviné les folies que j’avais accomplies avec son associé ?


De tout temps, j’avais imaginé que si Hubert venait à découvrir ma légèreté, il se lancerait à ma poursuite dans une cavalcade insensée et me traînerait par les cheveux sur la place publique, afin de me répudier, me chasser, me bannir de sa ville.


Mais ce ne fut pas le cas.


Il semblait déconfit. Incontestablement il avait tout vu. Cependant il n’affichait aucune volonté d’exposer son cocufiage à l’assistance composée notamment de ses investisseurs de passage.


Il ne rentra qu’après les vêpres et ne m’adressa aucunement la parole ni ne me lâcha d’une semelle. Il me suivait jusqu’au cabinet d’aisance, pour vous dire.


Jusqu’à ce matin, où mon geôlier avait sa pause hebdomadaire avec l’Aristotélicienne de l’hostellerie de la gare. Homme de bonne volonté, il n’est cependant pas affublé d’endurance.


Voilà pourquoi je me presse de cacheter ce pli. Aux bons soins de Joséphine, je sais que vous l’aurez entre les mains dans moins d’une heure.


Agréez, ma très chère Elisabeth, que je vous embrasse en attendant de découvrir quelles frasques vous avez inventés avec ce bon Joseph.



Marie-Antoinette

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