Langue de vipère


Notre parcelle était immense. Nous avions bénéficié des services d’un paysagiste talentueux, éco responsable et qui avait vraiment la main verte. Il avait mis en terre une grande variété de plantes. Celles-ci s’épanouissait, proliféraient et nous fournissait fruits et légumes à volonté.


Mon homme et moi étions tellement heureux. Nous nous sentions au paradis. Nous avions l’impression d’être seuls sur terre et que le monde n’était que paix, joie et épanouissement. Baignant dans l’amour, nous étions fusionnels : je ne voyais que lui et il me répétait souvent que j’étais un bout de lui.

Ce jour-là, nous nous étions réveillés à l’aurore et nous étions étreints tendrement, comme tous les matins. A cette heure-ci, le soleil faisait scintiller les gouttelettes de rosée sur les plantes et notre jardin brillait comme mille diamants. C’était de bon augure.

A mon habitude, je consacrais la fin de la matinée à nous réapprovisionner. Au rayon Produits frais, je pris le temps de papoter un peu avec notre voisine. Je ne la côtoyais guère, car elle avait la réputation d’être mauvaise langue. Mais exceptionnellement, je prêtais oreille à ses recommandations et acquérais une nouvelle sorte de pomme.

Sur le retour, j’en croquais une et me promis de faire déguster ce délice à mon compagnon. A peine le lui avais-je proposé qu’il rechigna à y goûter. Je le qualifiais de rétrograde qui refusait d’ouvrir son esprit au monde. Pour interrompre mon animosité, il mordit le fruit à pleines dents et s’en régala.

Quelques instants plus tard, mon âme sœur eut un incompréhensible montée de stress. Régulièrement, le propriétaire des lieux passait voir ses locataires et bavardait gaiment autour de quelques amuse-bouches. C’était une coutume sans protocole et très conviviale. Mais ce jour-là, mon bonhomme voulut se mettre sur son trente-et-un.

Je lui proposais une tenue, elle ne le contenta pas. Il se plaignit que son membre viril était trop visible, et que j’aurais dû choisir une taille en dessus. Agacée par son arrogance, je le traitais de prétentieux et j’allais ajouter, avec une touche de perfidie, que son sexe n’avait pas besoin d’être caché pour être invisible. Mais notre hôte fit son entrée.

Il avait dû entendre notre esclandre et cela l’avait mis de fort mauvaise humeur. Il nous fit des remontrances pour la première fois de notre existence. Sous la pluie des critiques, mon homme me désigna comme seule responsable.

J’utilisais toutes les cartes que m’offrait la féminité pour calmer son courroux : accuser le coup sans rien laisser paraître, disposer de ressources insoupçonnées, user de mon charme et d’un bon sens de la répartie... En vain. Sans préavis, il nous mit à la porte de notre paradis terrestre. Adam et moi quittâmes Eden et nos descendants nommèrent cette terrible journée la chute.

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